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Que serait un jeu d'aventures idéal par Reardon

Que serait un jeu d'aventures idéal


Que serait un jeu d'aventures idéal
de David Adrien Tanguay, juillet 1999
http://www.adventurecollective.com/index.shtml
Traduction et commentaires de Reardon, août 2004

Reardon:
Ce texte de David Adrien Tanguay publié en 1999 est une réflexion théorique autour de ce qui pourrait être l'archétype du jeu d'aventures. Si certaines des remarques de l'auteur ont perdu de leur actualité ou sont rentrées dans les préoccupations des concepteurs, l'orientation générale demeure : c'est la raison pour laquelle je vous en livre ici une traduction commentée.

Qu'est-ce qu'une aventure idéale ? La réponse à cette question laisse perplexe bon nombre de concepteurs de jeux d'aventures, d'éditeurs et de joueurs. Les jours glorieux d'Infocom et de Legend qui nous donnèrent des séries aussi classiques que Zork et Spellcasting sont révolus. Leur ont succédé une multitude de jeux hybrides comme Tomb Raider, System Shock et beaucoup d'autres - qui tous ont brouillé ces règles si clairement définies dans les jeux d'aventures d'hier et qui permettaient de les distinguer des autres genres. Je me suis récemment penché sur le problème de savoir s'il était possible de revenir à une base claire et saine. Dans cet article, je vous livre donc les conclusions auxquelles je suis arrivé. Le but de cet article est de décrire les éléments qui selon moi seraient prioritaires dans la création d'un jeu d'aventures idéal. Bien qu'une telle réflexion soit forcément très subjective, j'espère partager avec vous quelques idées acceptables et quelques réflexions applicables à la conception d'un tel jeu.

Dans une première partie, je proposerai une définition fonctionnelle de l'aventure ; en seconde partie, j'étudierai ce que devraient être les propriétés de l'aventure ; la troisième partie sera réservée à une réflexion sur ce qui ferait le jeu d'aventures idéal.

Que signifie aventure dans l'expression jeu d'aventures ? (article du 9 juillet 1999)

Avant que nous puissions considérer ce qui rendrait idéale une aventure, nous devons d'abord établir quelques règles de base pour préciser et cadrer ce qui constitue une aventure. Il semble y avoir peu de jeux d'aventure produits récemment, même chez les producteurs traditionnels comme LucasArts et Sierra On-Line. En outre, nombre de jeux classés aujourd'hui sous le label 'aventure' sont très différents des jeux auxquels ce terme était traditionnellement appliqué. Si l'on se cantonne à cela, une telle généralisation rend simplement inutile toute analyse future. Une définition pertinente doit établir des limites relativement précises. Dans le cas contraire, l'amplitude du gameplay devient trop grande pour tenter la moindre approche de ce que devrait être un jeu idéal d'aventures. Toute définition du mot "aventure" devrait être basée sur les jeux qui l'ont à l'origine définie. Ce qui inclut des titres comme Adventure, Zork et d'autres jeux d'Infocom aussi bien que King's Quest et les titres du début des années 80 édités par Sierra On-Line.
Une définition devrait être aussi suffisamment personnalisée et percutante pour permettre d'établir une distinction indiscutable entre les jeux d'aventures et les autres genres actuellement connus comme les First Person Shooters (FPS) [tireurs à la première personne], les Role-Playing Games (RPG) [jeux de rôles], les puzzles et les jeux de stratégie en temps réel (RTS) [Real-Time Strategy].
Nous ne devrions pas craindre qu'une telle définition puisse exclure des jeux comme Quest for Glory, Alone in the Dark et System Shock qui, même si nous considérons qu'ils n'entrent pas dans la catégorie Aventures, n'en restent pas moins de grands jeux.

L'histoire (le scénario, la trame narrative) L'histoire est une donnée importante dans le jeu d'aventures. Ce pré requis nous permet d'exclure les jeux purement basés sur des puzzles comme Sokoban, Sherlock ou les mots croisés du jour. Pourtant, l'histoire ne doit pas, ne peut pas être le seul et unique critère. Livres et films ne sont pas des jeux d'aventure puisqu'ils n'ont aucun aspect ludique et ne proposent pas de résolution de problèmes. De la même façon ne peuvent entrer dans cette catégorie les jeux qui n'ont que quelques prémices scénaristiques, que quelques bribes d'histoire comme Wolfenstein, X-COM et Alpha Centauri (Alpha du Centaure) mais ne sont évidemment pas des jeux d'aventures.
Reardon:
Comme le dit l'auteur de cet article, si l'histoire n'est pas l'unique critère, elle n'en reste pas moins l'un des critères primordiaux permettant à un jeu d'entrer dans la catégorie des hors-classes comme c'est le cas pour Zork Némésis, The Longest Journey, Syberia ou plus récemment The Black Mirror.

La résolution de problèmes

Une aventure n'est peut-être simplement que la résolution de problèmes dans le contexte d'une histoire. C'est une bonne première approximation, mais nous nous apercevons très vite que la frontière reste floue. Les FPS ont recours à une résolution de problèmes, bien que ces problèmes soient très souvent résolus par la pulvérisation ! De même, il existe beaucoup de jeux de plateaux, de poursuite et d'esquive où les problèmes se résolvent en sautant avec agilité ou en se trouvant au bon endroit au bon moment. Ce type de jeux peut également inclure une dose variable d'histoire. En résumé, une définition pertinente du terme aventure doit exclure Doom et Mario. Nous devons donc restreindre et rapporter toute résolution d'énigmes au domaine intellectuel. La résolution de problèmes dans un jeu d'aventure devrait être difficile au niveau de la réflexion mais pas difficile au niveau de l'exécution. Ceci nous donne une marge raisonnable entre les jeux d'aventure et les diverses catégories de jeux d'action.
Reardon:
Deux aspects dans cette réflexion : l'un portant sur la résolution de problèmes - le terme reste volontairement vague - d'ordre intellectuel ; le second sur la distinction entre résolution du problème et exécution.

Déterminisme et stochastique

Il nous reste encore à trouver ce qui différencie aventure et jeux de rôles. Les jeux dans ces deux genres ont en commun de nombreuses caractéristiques, bien que leurs objectifs soient habituellement distincts. Les jeux d'aventures soumettent le joueur à des contraintes qui généralement reposent sur l'histoire et le contenu des puzzles. En revanche, le RPG insiste sur l'interaction avec un monde virtuel plus grand et davantage soumis à des comportements aléatoires. Cette différence d'approche n'est pas définitionnelle cependant, puisqu'un jeu peut clairement être rangé dans l'un ou l'autre genre selon l'un ou l'autre de ces critères ou même les deux. L'évolution du personnage pourrait être un critère tentant pour distinguer ces deux genres. Malheureusement, il n'est pas très significatif. Il n'est pas inconcevable qu'un protagoniste dans le jeu d'aventures acquière de nouvelles capacités durant sa quête, telles qu'ouvrir des serrures ou une dextérité accrue. La différence n'est pas dans l'existence de l'évolution du personnage, mais dans les raisons qui la nécessitent ou la provoquent. Dans le jeu d'aventures, l'évolution, le changement est nécessaire pour résoudre un problème particulier. Dans le RPG, l'évolution est nécessaire pour améliorer les chances du personnage à résoudre les problèmes non spécifiques qui peuvent provenir aléatoirement du monde virtuel. En résumé, la distinction fondamentale entre le RPG et le jeu d'aventures est la nature stochastique du RPG par opposition à la nature déterministe du jeu d'aventures. C'est l'apparition aléatoire d'obstacles qui donne au personnage de RPG ses caractéristiques fonctionnelles les plus importantes à travers des pourcentages optionnels constituant son caractère. Dans le jeu d'aventures il existe rarement une modification significative liée à un jet de dés - le jeu se déroule de la même façon chaque fois que les mêmes mesures sont prises, les mêmes actions exécutées. Un RPG est fortement basé sur les caractéristiques de la matrice pour déterminer l'issue d'un combat et d'autres événements, par lequel le joueur doit aller au devant de Madame La Chance et augmenter en proportions ses pourcentages de caractères pour améliorer ses chances de survie.
Reardon:
Je trouve cette distinction particulièrement pertinente : reprenons les termes et leurs définitions : Déterminisme : ordre des faits selon lequel les conditions d'existence d'un phénomène sont déterminées, fixées absolument de telle façon que ces conditions étant posées, le phénomène ne peut pas ne pas se produire (Robert) N'importe quel joueur de jeu d'aventures ayant préalablement effectué un parcours se trouvera dans la même situation que tout autre joueur ayant effectué le même parcours.
Stochastique : Qui comporte la présence d'une variable aléatoire : un personnage de RPG se définit par une matrice contenant divers paramètres (force, puissance, ruse, richesses, armes …) comptabilisés en pourcentage. Les personnages prédéfinis ne sont donc pas identiques d'un joueur à l'autre, d'une partie à l'autre ; de plus l'ennemi dans le RPG survient de façon aléatoire. Le RPG est pour ainsi dire un combat contre l'ordinateur ayant revêtu les oripeaux du jeu ; le jeu d'aventures est lui une tentative de déjouer les pièges inventés par un concepteur. La dimension, l'intérêt et les principes de jeu sont donc en tout point différents.

Définition

Suite à ce que nous venons d'établir, nous possédons maintenant une définition raisonnablement acceptable du jeu d'aventures : une aventure est "la résolution de problèmes déterministes et intellectuels dans le contexte d'une histoire."




Seconde partie : Les Propriétés, article du 14 juillet 1999 de David Adrien Tanguay.

Dans cette seconde partie, nous allons nous attacher à considérer en détail les propriétés de l'aventure.

Voir à ce propos mon article : Structure du jeu d'aventures

L'histoire

L'histoire est une partie importante du jeu d'aventures. Celle-ci se présente sous deux aspects : le contexte (ou histoire antérieure, prologue, exposition) et le développement interactif. L'histoire antérieure, le contexte, est l'histoire du monde du jeu avant que le joueur ne commence à intervenir. Ceci inclut l'histoire du personnage, de l'avatar du joueur, du protagoniste. Elle peut être révélée a priori dans la documentation qui l'accompagne ou dans des fragments d'introduction du jeu, ou encore apparaître pendant le jeu lui-même lors de rencontres avec des personnages non actifs lisant des notes par exemple. En revanche, le deuxième aspect de l'histoire est crée par le protagoniste pendant le jeu. Ce journal de jeu est référé comme le développement.

Gameplay : la partie jouable

Les joueurs souvent parlent de gameplay mais ce qu'ils entendent par ce terme est souvent variable. Ici, ce terme désigne les actions sémantiques (porteuses de sens) effectuées par le protagoniste. Il est distinct de la syntaxe employée pour exprimer ces actions. Si vous entrez "versez le pichet dans la cuvette" ou si vous cliquez l'icône pichet sur la cuvette, l'effet est identique. La différence est que dans le premier cas vous obtenez un résultat (domaine de la syntaxe) et dans le second vous appliquez une méthode (domaine de la sémantique).

Challenge : le défi, l'énigme, l'épreuve

Le joueur doit surmonter de nombreux obstacles pour achever un jeu. Ces obstacles par exemple consistent en des problèmes basés sur l'inventaire, des choix arborescents de répliques dans les dialogues, des mises en route de machines, des taquins, des séquences chronométrées etc. Ces obstacles devraient plus convenablement être appelés défis, et l'ensemble de ces obstacles être répertorié sous le nom d'énigmes. Le terme puzzles devraient quant à lui, être réservé à des obstacles d'un seul tenant tel que les taquins ou les Rubik's cubes.

Linéarité

On parle souvent de linéarité, mais une confusion existe également lorsqu'il s'agit de définition. D'une part, la linéarité fait référence au cheminement géographique que le joueur suit à travers le jeu. Dans ce cas, un jeu sera non linéaire si le joueur est libre de se promener dans le monde du jeu. Ceci peut ne pas être d'un intérêt palpitant : explorer peut être amusant, mais errer de droite et de gauche risque de devenir vite fastidieux. L'autre sens de linéarité se rapporte à un ordre dans le gameplay, dans le déroulement du jeu, c.-à-d. à l'ordre dans lequel les énigmes peuvent être résolues. S'il n'existe qu'un seul ordre dans lequel les énigmes peuvent être surmontées, alors le jeu est complètement linéaire. Si toutes les énigmes du jeu peuvent être résolues à tout moment, alors le jeu sera non linéaire. La linéarité est provoquée par une relation entre les énigmes. La solution de l'une d'elles vous offre une véritable récompense, comme l'accès à de nouvelles parties du monde, comme l'acquisition d'objets, de possibilités nouvelles et d'information. Ces connexions créent un graphique dans le déroulement du jeu (gameplay) dans lequel les énigmes sont des noeuds. Techniquement, dans la théorie des graphes, cette construction du gameplay est un graphe acyclique dirigé qui fonctionne comme un réseau de Petrie.
Peu de jeux sont complètement linéaires ou complètement non linéaires. Beaucoup ont une série introductive linéaire d'énigmes et la plupart ont un final linéaire. Entre les deux, il y a quelques formes communes dans les constructions. Les aventures sont fréquemment coupées en chapitres, chacun devant s'accomplir dans un ordre linéaire. Cette fragmentation donne à l'auteur le contrôle du déroulement du jeu, mais en même temps permet au joueur d'avoir une liberté non linéaire à l'intérieur de chaque section. Il est également fréquent de voir le jeu coupé en sections indépendantes : le joueur peut alors jouer chaque section dans n'importe quel ordre, chacune étant, en effet, une mini aventure dans la grande.

La pertinence

Cette notion de pertinence décrit la relation entre les énigmes et le jeu. Spécifiquement, elle décrit l'opportunité des énigmes en tant qu'élément du monde de jeu et en tant qu'élément de l'histoire. Comme exemple d'inopportunité, combien de vraies portes du monde avez-vous pu ouvrir en résolvant un taquin ? Cependant, la pertinence n'est pas toujours aussi clairement explicite: des choses très absurdes peuvent se bien comprendre si elles sont accomplies par Wile E. Coyote (Vil Coyote) !
Reardon:
Dans quelques jeux actuels, la pertinence mise en cause ici a été résolue d'intelligente manière. Un taquin parachuté dans un jeu renvoie ce jeu à la catégorie puzzle sauf si ce taquin ou tout autre jeu de type solitaire est intégré dans un processus de réflexion. Les coffrets, les boîtes à musique, un certain nombre d'objets à tiroirs secrets ne peuvent s'ouvrir qu'à la condition de résoudre ce type de puzzles (The Omega Stone, The Black Mirror en fournissent l'exemple).

Contraintes

Les contraintes peuvent être aussi bien liées au temps qu'à la géographie. Beaucoup de jeux d'aventures incluent des contraintes de temps dans leurs énigmes. Ces contraintes peuvent varier en durée. D'un point de vue très large, le joueur dispose de plusieurs minutes ou de quelques heures pour résoudre un ensemble d'énigmes : il faut par exemple qu'il ait achevé un morceau de violon dans le laboratoire d'un savant fou avant d'aller déjeuner. D'un point de vue plus étroit (et plus conforme à l'ensemble du propos), il dispose de quelques secondes ou de quelques minutes pour résoudre une épreuve particulière, comme par exemple le désamorçage d'une bombe. Dans un cadre encore plus restreint, les contraintes temporelles imposées peuvent exiger que l'action soit effectuée en quelques secondes seulement, comme par exemple lancer une grenade après l'avoir dégoupillée. À l'extrême fin du continuum en temps réel, se trouve le défi d'arcade, véritable défi physique pour le joueur. Des contraintes géographiques sont communément imposées par l'auteur pour introduire de la linéarité dans une aventure. Fréquemment, au début d'un jeu, le joueur n'a accès qu'à une partie restreinte du monde de jeu. Le solutionnement des énigmes pendant le gameplay (en cours de jeu) peut alors permettre au joueur d'accéder à des parties du monde précédemment non accessibles.
Reardon:
L'énigme est une clé qui ouvre une porte sur un autre monde. Cette pratique est très fréquente dans le jeu d'aventures actuel et on la trouve aussi bien dans Uru : épisode des portes de la prison par exemple que dans Schizm 2 quand au début, Sen doit sortir de la station spatiale.

Nous avons maintenant compris les propriétés d'un jeu d'aventures : histoire, gameplay, défi, linéarités, pertinence et contraintes.




Troisième partie : Guide pour créer jeu d'aventures idéal, article du 26 juillet 1999 de David Adrien Tanguay.

Dans cette troisième partie, nous allons finalement envisager ce que devrait être un jeu d'aventures idéal.

Le monde du jeu

L'aventure idéale débute dans un monde clairement défini. Ce doit être un endroit ayant une histoire et une personnalité, et non simplement une desserte sur laquelle on poserait des puzzles. Il doit être peuplé de personnages qui y vivent, qui ont des raisons justifiées pour se trouver là, autres que de venir en aide ou de gêner le protagoniste. L'histoire de ce monde ne doit pas s'arrêter avec le commencement du jeu : il doit y avoir un fort déclencheur qui propulse le joueur dans le jeu. Le joueur doit aider à peindre le tableau, et non se contenter de le découvrir.
Reardon:
Il appert que l'un des principes du jeu d'aventures réussi suit deux axes et non un seul : le monde doit être modifié, le caractère du personnage doit être modifié. Quand je dis 'monde modifié', j'entends dans un sens très large que le protagoniste a influé sur l'état de choses préexistant pour le transformer : il a rétabli un équilibre, il a sauvé un univers, il a détourné des risques d'anéantissement … ; le caractère du personnage (ou sa définition primitive) doit être modifié comme c'est le cas dans Sybéria ou dans The Longest Journey (passage du matérialisme et du rationalisme au surnaturel ou à l'onirisme, retour à la nature, prise en compte du fantasmatique, parcours initiatique que l'on retrouve aussi dans la série des Gabriel Knight …).

Linéarité

De nombreux joueurs considèrent que la linéarité est mauvaise en soi dans le cadre du jeu d'aventures. Cette vision est trop simpliste. La linéarité donne à l'auteur plus de contrôle sur l'aventure jouée, ce qui lui permet de la renforcer. Elle présente cependant le risque de donner au joueur l'impression d'être manipulé par le jeu, d'être plus un passager qu'un conducteur. Au contraire, la non linéarité donne au joueur l'impression de diriger l'aventure et un plus grand sens d'immersion dans le jeu. Cependant, elle peut également conduire le joueur à se retrouver perdu, coincé, ne sachant plus quoi faire. La linéarité dans l'aventure sert ainsi de garde-fou, et de bonnes aventures peuvent se situer n'importe où le long du spectre de linéarité. Un jeu combinant les deux options serait probablement la meilleure approche: une série de chapitres, dont chacun serait absolument non linéaire, des chapitres placés en parallèle, des branches jouables dans l'ordre qu'il plairait au joueur de le faire.

Pertinence

Les épreuves devraient être appropriées. Elles devraient apparaître naturellement dans le monde du jeu, y être intégrées et s'inscrire normalement dans l'histoire : pas de serrures de porte à la Rubik ou de systèmes d'alimentation à la Escher. S'il doit y avoir des puzzles - ce qui peut être amusant- ils doivent également être intégrés dans le monde du jeu dans un dessein approprié. Myst, par exemple, à la différence de tant de ses clones, parvient à intégrer très naturellement ses puzzles comme parties normales des sites. Cependant, il doit y avoir une gamme large et variée d'épreuves. Le monde du jeu doit fonctionner uniformément dans le respect de quelques principes physiques. Par exemple, si vous avez une corde à couper, couteau ou ciseaux dans l'inventaire devraient pouvoir être employés indifféremment, et toute autre corde devant être coupée devrait également pouvoir l'être par ces objets. Ce qui ne signifie pas que le monde virtuel doive appliquer nos règles : les mondes des dessins animés comme Toonstruck ou les mondes fantasmatiques comme Sanitarium obéissent à des règles bizarres, mais demeurent compréhensibles au joueur.

Les défis rationnels

Les solutions des diverses énigmes doivent rester rationnels. De même qu'il est très intéressant de créer un jeu difficile pour égarer, étourdir le joueur, celui-ci doit pouvoir en comprendre les solutions au moins rétrospectivement. Il doit rester sur l'impression qu'il aurait pu trouver la solution seul, qu'il était en possession de toutes les informations utiles et nécessaires pour en déduire l'action correcte ou au moins pour tenter l'expérience correcte. Par exemple, si le fait de lancer un glaçon sur une licorne transforme celle-ci en une paire de pinces, il devrait y avoir eu une indication antérieure indiquant que le fait de lancer des cubes sur des créatures magiques les transformait en outils. Si le jeu ne dispose pas de cette propriété, en un mot s'il est idiot, il devient alors l'équivalent logique d'un immense labyrinthe: le joueur doit exhaustivement essayer toutes les actions possibles jusqu'à ce qu'il ait trouvé celle qui va lui permettre de progresser. C'est insignifiant, mais pénible et ennuyeux.

Les épreuves en temps réel

Des défis peuvent avoir des composants en temps réel, mais ils ne doivent être employés que pour accompagner un problème intellectuel. Ils doivent permettre de mesurer les capacités de réflexion du joueur et non ses réflexes. Une fois que le joueur a compris comment surmonter le défi, il devrait n'avoir plus qu'à effectuer quelques clics de souris ou quelques frappes sur les commandes clavier pour qu'il y ait réalisation en disposant encore d'une large fenêtre de temps. Disons que cela devrait être un test de conception, et non d'exécution. En outre, l'échec dans une épreuve en temps réel ne devrait pas exiger du joueur qu'il ait à recommencer et à rejouer un segment dissocié du jeu - l'espace environnemental du jeu devrait demeurer inchangé. Si quelque dextérité (manuelle) ou perceptivité (sensorielle) est exigée, le jeu devrait s'adapter au joueur, en facilitant progressivement l'épreuve jusqu'à ce que celle-ci soit annihilée. Le joueur devrait également avoir directement la possibilité de choisir un niveau de difficulté adapté à ses aptitudes.

La mort

La mort peut être un aspect ennuyeux du jeu d'aventures, mais son absence peut également être absurde. Si je dégoupille une grenade et m'assieds dessus, je m'attends à autre chose qu'à une petite constipation ! Une grande aventure peut être conçue sans danger mortel, et dans le jeu le joueur peut être raisonnablement privé de la mort. Cependant à l'extrême fin du suspens d'une situation dangereuse, la mort constitue bien une limite. Dans ce cas, elle ne doit jamais surprendre le joueur inconscient. Toute action fatale à laquelle le joueur se livre devrait raisonnablement avoir été anticipée, envisagée à l'avance, identifiée comme telle, mais devrait laisser au joueur une chance de sauvegarder le jeu. Mieux, le jeu devrait effectuer de lui-même cette sauvegarde et ramener automatiquement le joueur à l'endroit qui précède immédiatement l'action mortelle. Dans une aventure, la mort n'est pas la seule façon de terminer prématurément un jeu. Le joueur bien que restant vivant peut se mettre dans une situation où il lui devient impossible de poursuivre le jeu: il se retrouve dans une impasse. La fonction de renaissance automatique en cas de mort est d'éviter d'exiger du joueur qu'il ait à refaire de longues périodes de jeu, qu'il n'ait pas à repartir dans le jeu de la dernière de ses sauvegardes. Pour des raisons identiques, le jeu ne devrait pas laisser le joueur longtemps impuissant dans une impasse. L'action (ou le manque d'action) qui conduit à cette impasse devrait être traité comme une action entraînant la mort: on serait raisonnablement en droit d'attendre une réflexion dubitative, une mise en cause préalable de l'action permettant au joueur de sauvegarder à l'avance : bien sûr, le mieux serait encore une sauvegarde automatique. Une fois qu'un joueur pénètre dans une impasse, le jeu devrait clairement et assez rapidement l'indiquer.

Difficulté

Dans un jeu d'aventures, il n'y a pas de niveau idéal de difficulté. Certains jeux devraient être adaptés à des joueurs débutants, et d'autres s'adresser aux vieux routards. Dans un jeu, cependant, les épreuves (ou énigmes) devraient se présenter en difficulté croissante. Un défi trop difficile au début peut avoir sur le joueur un aspect rebutant qui l'amène à renoncer. Vers la fin du jeu, le joueur a suffisamment d'intérêt pour l'histoire et a investi suffisamment de son temps dans le jeu pour tenter d'affronter une difficulté plus grande plutôt que de renoncer et se sentir frustré. Même s'il en arrive à cette dernière opportunité, la majeure partie du jeu a au moins pu être appréciée.

L'interface utilisateur

Jusqu'ici je n'ai parlé que de la sémantique de conception de jeu, mais une aventure idéale devrait également avoir une bonne interface utilisateur. Vous pensez immédiatement aux graphismes en haute résolution, au son directionnel, à la 3D (qui acquiert régulièrement une nouvelle définition) et ainsi de suite, mais cela ne représente que des moyens qui conduisent à une fin, et toutes ces caractéristiques deviendront bientôt obsolètes. L'objectif est de présenter clairement le monde au joueur, de créer une atmosphère et de faciliter le jeu. Les artistes et les concepteurs doivent travailler avec la technologie du moment pour réaliser cela ; s'ils réussissent, ce n'est pas le niveau de technologie qui est pertinent. Les conceptions graphique et sonore doivent clairement établir ce qui est important. Le joueur ne devrait jamais avoir à se demander ce que trois malheureux pixels étalés sont censés représenter, ni ce que ce personnage a marmonné (le sous-titrage devrait toujours être une option). Tout objet dont le joueur a besoin devrait être clairement présenté et non être une aiguille dans une botte de foin. Ceci ne signifie pas qu'il ne doit pas y avoir de leurres, mais seulement que tout objet nécessaire doit entrer dans le groupe des objets nécessaires. De la même façon, un personnage primordial ne doit pas se présenter comme un visage anonyme égaré au milieu d'une foule.
Le jeu devrait avoir des facilités au niveau des sauvegardes. Les joueurs devraient pouvoir sauvegarder leur jeu là où ils le désirent, et pas uniquement là où les programmeurs ont décidé qu'il fallait sauvegarder. Le jeu devrait également sauvegarder ce qui est joué : il existe des jeux qui font des suppositions qui s'avèrent être fausses si le joueur fait des choses différentes et s'éloigne des intentions du concepteur. Il ne devrait y avoir aucune limite préétablie du nombre de sauvegardes ; laissez cela au système de fichiers du joueur. L'interface devrait être facile à utiliser, intuitive et d'accès économique. Les actions usuelles devraient exiger un minimum de clics ou de frappes.
Un problème avec beaucoup de jeux récents est que l'interface est devenue si économique que le joueur n'a plus à réfléchir à la solution, elle s'impose simplement. Le problème est que les concepteurs ont tellement amélioré l'interface de la souris que le joueur n'a plus aucun choix quant à sa manière d'interagir avec les objets et les personnages. Des jeux comme Callahan's Crosstime Saloon*, ont tenté de résoudre cela en proposant un large éventail d'actions pour chaque interaction, contextuelles avec les objets et les caractères impliqués. Ceci fonctionne bien en augmentant l'espace de recherche au delà de ce qui est faisable par une recherche approfondie, mais présente toujours le problème que le joueur est fréquemment en contact avec la solution, plutôt que d'avoir à la construire. D'autres jeux comme Leisure Suit Larry: Love for Sail! résolvent ou contournent ceci en permettant au joueur d'indiquer l'interaction en tapant un mot, en plus d'un menu d'interactions évidentes comme des répliques de dialogues. Cette approche conserve beaucoup de la flexibilité conceptuelle des vieux analyseurs de textes, tout en préservant la facilité d'utilisation de la souris.



Considérations finales

Evidemment, il faut bien davantage pour un jeu idéal que ce qui précède. Il ne devrait y avoir aucun bug. Les défis devraient être intelligents: vous devriez pouvoir être fier de les avoir résolus, ou vous devriez vouloir vous donner des gifles pour avoir passé un mauvais moment proche du renoncement, une fois que vous avez en main la solution. L'histoire devrait être intéressante et passionnante ; les jeux d'humour devraient être drôles et ceux d'horreur effrayants. Malheureusement et heureusement, il n'existe pas de directive pour la créativité.

Philip Jong : Bien que la technologie de la conception du jeu d'aventures soit toujours en mouvement, les constituants d'une aventure idéale demeurent les mêmes. Il est essentiel que les développeurs de jeu évitent de laisser la technologie déborder l'histoire et le gameplay. Un grand jeu peut être entièrement basé sur du texte ou implémenté de la dernière interface graphique. L'essence du jeu d'aventure est son gameplay. C'est la capacité d'interagir dynamiquement d'une façon significative (d'où la signification n'est jamais absente, pleine de sens) et immersive sur le monde du jeu qui la différencie de l'expérience passive de la lecture ou de la vision d'un film. Récemment, beaucoup d'éditeurs ont lancé sur le marché des titres labellisés en tant qu'action/aventure, RPG/aventure et autres. Comme ces intitulés peuvent évidemment n'être qu'un argument de vente, l'existence de titres mêlant des genres ne devrait pas et ne doit pas, nous obliger à redéfinir ce qu'est une aventure. Je forme l'espoir que cet article a décrit les éléments requis pour créer l'aventure idéale et a fourni tant aux développeurs qu'aux joueurs un ensemble de bonnes directives pour la conception d'un jeu d'aventures.

Remarques de Reardon

1) La résolution de problèmes. Pour ce qui est du premier point, il ne peut donner qu'une orientation, qu'une tendance : disons que les problèmes qui se présentent au joueur de jeux d'aventures seront plutôt d'ordre intellectuel, mais ce n'est pas toujours le cas : j'en veux pour exemple certains jeux où il est nécessaire d'effectuer deux ou trois fois un parcours pour récupérer une série d'objets, Les Chevaliers d'Arthur par exemple, ce qui rend la démarche fastidieuse et inutile et n'a rien d'une démarche intellectuelle. Raisonnablement, il aurait été plus simple de les récupérer tous en même temps. Le second point concernant l'exécution est alors souvent mis en pratique ; mais pas dans Le Manuscrit de Voynich par exemple quand George tente d'échapper à la tueuse en courant dans la grotte pour atteindre l'ascenseur, qui fait que l'on s'approche ici plus du jeu d'action que du jeu de réflexion.
2) Le système des sauvegardes est en nette amélioration et la sauvegarde automatique ici préconisée a été si bien mise en place dans Uru par exemple que nombre de joueurs sur les forums se posent la question : mais comment sauvegarder ? Par contre un jeu comme Shadow of memories n'enregistre les sauvegardes qu'à la fin des chapitres (neuf avec le prologue) contraignant le joueur à reprendre le chapitre entier alors que dans Simon 3D le joueur se retrouve systématiquement devant l'épreuve qui vient de le condamner.
3) Les solutions. Il est vrai qu'avec un gameplay très compétitif la solution parfois s'impose d'elle-même ne demandant même plus au joueur de réfléchir. L'intérêt du jeu s'en trouve alors amoindri. Mais que dire alors de jeux comme Schizm 2, Chaméléon, livrés avec 'un guide officiel des stratégies et solutions' ?

* Callahan's Crosstime Saloon (1997): Editeur: Mindscape; Développeur: Legend Entertainment Company, Take-Two Interactive Software; Design: Josh Mandel


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Reardon, Août 2004


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