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Structure du jeu dÂ’aventure par Reardon

Structure du jeu dÂ’aventure


Au risque de faire bondir quelques inconditionnels de tel ou tel jeu, il faut reconnaître sans parti pris que bon nombre de jeux d’aventures reposent sur une structure comparable : de type narratif (au même titre qu’un roman, un conte, un reportage, un film, une bande dessinée etc…), ils sont conçus comme des récits interactifs desquels cependant ils se distinguent par un cheminement non systématiquement linéaire. Ils mettent cependant en scène un processus de rétablissement d’un ordre social perturbé à travers une succession d’épreuves pratiquement initiatiques. April Ryan et Kate Walker pour lesquelles le parcours amène une totale transformation de leur personnalité en sont des exemples significatifs.

Cette structure puisque tel est le terme sÂ’articule autour de 4 parties :
1. Le prologue (ou exposition) ne se joue pas mais sert d’introduction à la partie interactive du jeu : il a souvent la forme d’une séquence cinématique ; c’est la partie analytique qui expose le contexte, qui dégage les constituants, les règles, les principes, le cadre et les objectifs.

La démarche synthétique consiste à utiliser les notions construites dans le prologue pour déduire, mettre en relation, construire de nouvelles inférences, donner du sens ou interpréter de l’information, agir sur les émergences sibyllines d’un ordre établi intelligible pour progresser vers un terme. Lors du parcours initiatique que constitue le jeu d’aventures, la succession analyse synthèse se répète dès lors que le héros a passé une épreuve, résolu une énigme majeure. La dimension interactionnelle (communiquer, prendre, utiliser, combiner plusieurs objets ou un objet et l’environnement …) et la dimension cognitive (examiner un objet, écouter une conversation, identifier l’usage d’un objet de l’inventaire, concevoir mentalement une possible combinaison …) sont complémentaires dans la jouabilité qui s’étend sur les trois autres séquences :
2. La situation initiale qui est celle dans laquelle se trouve le joueur (et son avatar) au début du jeu, à l’instant où l’interactivité débute,
3. Le déroulement du jeu qui connaît le plus de variantes, ce qui ne signifie pas qu’elles ne soient pas répertoriables,
4. Le final qui marque la fin réelle du jeu mais qui peut être prolongé par un épilogue. Le personnage et l’environnement sont alors modifiés et l’ordre rétabli.



1/ Prologue : lÂ’exposition

Hormis quelques cas très particuliers où le joueur se trouve dans une situation où il a tout à découvrir (environnement, mission …), la plupart du temps le jeu débute par une exposition de la situation. Ce contexte, variable en durée, peut être présenté par divers vecteurs :
- la forme la plus classique consiste à laisser un personnage s’exprimer pour exposer la situation : un chaman dans Atlantis II (contexte donné également à la page 4 du guide de l’utilisateur), Méphisto dans Faust : les âmes qui font le sujet du jeu méritent-elles le salut ? Sir Geoffreys dans The Oméga Stone (contexte donné également à la page 4 du guide de l’utilisateur), Valembois dans l’Amerzone : je suis trop âgé pour accomplir la dernière mission que je m’étais assignée aussi « ramenez l’œuf des oiseaux blancs en Amerzone, je vous en prie… »
Je ne multiplierai pas les exemples, mais il semble évident que dès cet instant, c’est sur le joueur que se trouve transféré la charge qui incombait jusque là virtuellement à un personnage de fiction ; une alternative est celle que l’on peut relever dans le cadre des jeux à enquêtes où c’est la visite d’un personnage qui donne les éléments nécessaires au démarrage du jeu Sophia Blake dans Post Mortem, Carlotta dans Discworld Noir … Ou un supérieur hiérarchique (et un ex-collègue) comme dans Black Dahlia ;
- la situation peut être amorcée par le biais d’une lettre (Road to India), un appel téléphonique (Dark Fall, Lighthouse), une vision ou même un hologramme, un robot, un alien (Schizm 2, The Journeyman Project) … qui servent de déclencheur et définissent une mission.
- par le recours au flash-back : il peut être le fait d’un personnage : Tex Murphy dans Overseer : ma rencontre avec Sylvia est indissociable de ma première enquête, Ou d’un autre déclencheur comme l’interview télévisée de Schizm 1.

Remarque : Cette partie analytique qui définit les limites du jeu et propulse le héros dans la situation initiale qui en découle est parfois exposée dans le manuel d’utilisation qui accompagne le jeu – certains manuels donnant même la procédure à suivre pendant les cinq premières minutes (Atlantis II page 8 par exemple ; Le Manuscrit de Voynich pages 16 à 21…) - elle est reprise ou exposée dès le banc-titre terminé par une cinématique ; Quoiqu’il en soit, à l’issue de l’exposition, la mission assignée est définie : le héros est chargé de palier à un risque de déséquilibre, d’endiguer ou de réprimer une aliénation, de vaincre une perturbation et de rétablir un ordre social, personnel ou universel.




2/ La situation initiale

Lorsque le cadre, le contexte historico-scénaristique, la mission souvent même, sont définis, le processus du jeu est amorcé et le joueur entre dans la phase active.
En réalité cette action au sens large, perturbation ou déséquilibre du personnage justifiant la pénétration du joueur dans le monde virtuel par l’intermédiaire d’une osmose entre lui et son avatar, connaît essentiellement deux orientations possibles :
- le héros doit agir au sens strict, c’est-à-dire faire quelque chose ;
- le héros doit se livrer à une reconnaissance des lieux, à une exploration de la base de départ.

Ces deux directions sont généralement distinctes mais peuvent très bien s’imbriquer : car il n’est aucune règle stricte ou restrictive.

- L’exploration : le personnage est dans un lieu qu’il découvre en même temps que le joueur. Il se retrouve volontairement, par choix personnel, dans un lieu qu’il ne connaît pas Dark Fall: “Vous commencez par explorer les environs, les tunnels ferroviaires abandonnés, la gare désaffectée, l’hôtel désert et le terrain en friche. »
Morphéus: “Que vois-je ? Est-ce un bateau ? Y a-t-il âme qui vive sur ce navire pris dans les glaces ? »
Riddle of the Sphinx, Sybéria… comme il peut y être parachuté
Schizm : ‘Votre module de secours s’écrase sur la planète Argilus. Vous êtes vivants mais seuls.’,
The Daedalus Encounter : ‘Le vaisseau alien à bord duquel vous vous retrouvez malgré vous se dirige tout droit sur une étoile.’
Rama : ‘Astronaute, vous êtes envoyé pour pénétrer et explorer un gigantesque vaisseau extra-terrestre.’
Cydonia : ‘L’exploration de la planète rouge en vue de sa colonisation doit commencer sans tarder.’
Midnight Nowhere : Lorsque vous sortez du sac, vous comprenez que vous êtes dans une morgue et c’est à peu près tout.
Le voyage au centre de la Terre : Quand son hélicoptère s’est écrasé, Ariane est saine et sauve mais le passage qu’elle va trouver va la mener vers un monde insoupçonné. …

Fréquemment l’accès au premier lieu du jeu est entravé, sorte de mise en route et de prise en main qui justifie la résolution d’un puzzle dont la difficulté est plus ou moins importante : c’est la phase de complication :
Dans Nine, l’accès au Last Resort se fait par une porte qui ne s’ouvre que si l’on entre le code : cette péripétie précède l’exploration ;
Dans Morphéus, l’accès à l’intérieur du navire ne peut se faire qu’après avoir libéré la fusée de détresse.
Dans Uru, le déroulement du jeu est conditionné par la remise en marche de l’éolienne ;
Syberia 2 : Lors de la halte forcée à Romansburg, c’est la maladie de Hans qui contraint Kate à agir. Mais elle doit pour accéder au village, réussir à récupérer la clé de la grille.
Dans Reah, l’ouverture de la porte de la ville est soumise au décryptage d’un code …
Dans Midnight Nowhere, il faut court-circuiter la porte ; dans Voyage au Centre, entrer un code sur la porte circulaire de la caverne Â…

Cette exploration n’est pas anodine car elle s’accompagne d’une récupération d’indices qui sert de transition entre le prologue où le personnage est inerte et le joueur passif et la partie interactive du jeu :
Dans Timelapse, après l’introduction durant laquelle vous êtes chargé par un archéologue de vos amis d’enquêter sur le lien entre d’anciennes civilisations et l’Atlantide, vous gagnez l’Ile de Pâques. Le jeu commence alors et vous partez à la recherche d’indices (appareil photo, journal de bord) et du campement (lampe) ;
Dans Dark Fall, le jeu débute par le prélèvement d’indices dans la gare ;
Dans The Black Mirror, après une courte exposition de la situation dans le prologue, le jeu commence réellement quand le personnage explore sa chambre (photo, clé …) ;
Dans Faust, après l’exposition en intro, le personnage est tout de suite confronté à la recherche d’indices qui vont lui permettre de comprendre un peu mieux les sœurs siamoises;

- L’action : le personnage est dans une situation clairement définie correspondant à une mauvaise passe dont il doit sortir.
Les lieux sont plus ou moins familiers, c’est à dire que même s’ils n’appartiennent pas à notre environnement immédiat, ils entrent dans nos référents : carlingue d’avion, chambre d’hôpital ou plage déserte que l’on retrouve dans
Le manuscrit de Voynich : l’avion est en déséquilibre sur une falaise : George doit en sortir et sortir le pilote ;
Runaway : après la scène d’introduction, Brian est dans la chambre d’hôpital de Gina et doit changer celle-ci de lit …



3/ Le déroulement du jeu - Le jeu d’aventures est une suite de scènes cohérentes qui prennent exclusivement la forme de paysages, de lieux, de décors, de mondes.
Ces scènes peuvent être juxtaposées ou dérivées (mais ces deux types de progression peuvent aussi être combinés).
Les scènes juxtaposées (épisodes) : le personnage résout une situation puis passe à une autre (Faust ou Myst) ; bien que souvent distinctes, il peut être nécessaire d’avoir terminé une situation pour pouvoir en aborder une autre – ce qui n’est plus le cas dans Uru par exemple où il n’est pas nécessaire d’avoir terminé un livre pour en ouvrir un autre ;
Les scènes dérivées (suites chronologiques) : le personnage résout une situation qui lui permet d’accéder à une autre (un peu comme s’il changeait de niveau à cela près qu’il n’y a pas forcément davantage de difficultés : simplement une situation différente) mais à la différence de la juxtaposition qui n’a pas d’interférences, la dérivation (qui risque d’entraîner aussi la linéarité) suppose une progression, un rapport de causalité entre deux scènes ;

Le déroulement du jeu qu’il s’agisse de scènes juxtaposées ou de scènes dérivées est constitué très souvent d’une suite dénombrable de séquences.
Uru par exemple comporte le relto et le désert + 5 mondes Kadish, Eder Gira, Eder Kemo, Teledahn, Gahreesen ;
Discworld noir se compose de 4 actes et de lieux apparaissant sur une carte ;
Dans Runaway ont peu dénombrer 5 lieux différents ;
Dans Timelapse, il est question de 5 sites ;
Dans Rama, 5 cités gigantesques et une mer cylindrique ;
Dans Morpheus, 6 chambres recèlent des secrets ;
Dans The Black Mirror, on peut compter 6 chapitres (et des lieux localisés sur une carte), dans Faust, 7 péchés (tous localisés dans des endroits différents).

Le joueur peut dans ce cadre être accompagné par un certain nombre d’indices externes qui confortent son parcours : cinématiques marquant un changement d’époque, cinématiques ponctuelles (flash dans Faust ou dans Phantasmagoria), cartes sur lesquelles apparaissent de nouveaux lieux (Gabriel Knight) …

A l’intérieur de chacune des séquences ludiques ou époques succédant à l’orientation initiale (ou à la situation initiale) complétée par une complication ou un événement inattendu, on passe à une phase 3 s’inscrivant dans une démarche loqique / chronologique qui peut s’organiser ainsi : évaluation, action, résolution (ou nouvel élément modificateur) qui peut être exprimé en d’autres termes : perturbation, déséquilibre, action, retour à l’équilibre.
Prenons lÂ’exemple de Simon 3 D et lÂ’Ă©pisode du rocher surprise
Evaluation : Simon suit la rivière et atteint une grotte dont l’entrée est obturée par un éboulement. Lorsqu’il parle, une voix lui répond, celle du prince des nains : il est prisonnier et vous demande d’allumer la mèche de sa dynamite.
En réalité, nous ne sommes pas encore entrés dans l’action, mais nous ne sommes déjà plus dans l’évaluation. L’action commence réellement lorsqu’elle est clairement définie et possible : ce qu’elle ne peut être par exemple que si les objets qu’elle préconise sont présents dans l’inventaire.
Action : Utiliser la lentille.
Le prince est libéré. Il s’agit alors d’un faux retour à l’équilibre car cet objectif de la libération du prince s’il était nécessaire n’était qu’une étape, un passage obligé vers un objectif plus important.
Pseudo-équilibre puisque nouveau marché : Simon parle au prince qui lui raconte d’une part qu’un dragon Samagas maintient les nains en esclavage, que d’autre part, il a faim et souhaite manger du poisson : si vous lui en procurez, il vous fera don du torteau, son marteau.
Action : Entrer dans la grotte et récupérer la dynamite

. Très clairement ici, l’épreuve de la libération du prince n’est qu’une péripétie qui s’inscrit dans une chronologie conséquentielle : libérer le prince implique ‘apprendre qu’il veut du poisson’ et ‘récupérer la dynamite’ qui elle permettra d’obtenir le poisson lequel donné au prince permettra à Simon d’obtenir le marteau.



4/ Le final
Le jeu d’aventures de même qu’il peut débuter de deux façons différentes, peut dans son final respecter cette occurrence :
A savoir s’il est un tant soit peu orienté ‘action’ comme la série des Gabriel Knight ou celle des Chevaliers de Baphomet, une scène d’action que l’on retrouve aussi dans Phantasmagoria, dans Lighthouse … conclura le jeu avant l’épilogue et sera pour presque tous comme une sorte de signature de Sierra ;
Dans les jeux plus tournés vers la réflexion, un dernier puzzle sera à la conclusion : parfois mais rarement plus difficile que les autres, ce puzzle pourra par contre très souvent consister en une synthèse établie à partir de prélèvements d’indices, de puzzles antérieurs ou d’objets récupérés ayant intégré l’inventaire.

Conclusion : Unité et cohérence
Le jeu d’aventures achevé repose à la fois sur une logique chronologique (épisodique ou événementielle) et sur une globalisation qui donne au joueur le sentiment que le parcours qu’il a terminé forme un ensemble unitaire au-delà de la partition en énigmes intégrées dans le récit.
Qu’il se fonde sur une succession d’événements ou sur une juxtaposition d’épisodes, le jeu d’aventures ne peut avoir la moindre cohérence sans causalité narrative. Le registre chronologique se double d’un rapport de causalité. Le joueur destinataire de l’énigme s’efforce toujours d’établir une cohérence entre des propositions indicielles au premier abord incohérentes. En clair, c’est le joueur qui doit créer la cohérence. Mais ce ne sont pas systématiquement les balises temporelles chargées de marquer la succession des faits (journées, mondes …) qui sont automatiquement déterminantes puisque la cohérence et la progression dans le jeu contrairement au récit reposent avant tout sur la résolution d’énigmes dont le solutionnement en dehors de toute chronologie parsème et jalonne le parcours individuel de l’avatar.

En conclusion, il est évident que tel ou tel exemple donné peut être sujet à contestation, mais pour un exemple peu probant, il en est vingt qui le seront davantage. Simplement, je m’en suis tenu à des jeux récents pour la plupart et familiers aux joueurs avertis qui me lisent, ce qui forcément a restreint le corpus d’approche.

L’ensemble de mes articles est à la disposition de tous. Si cependant, vous souhaitez vous en inspirer pour étayer vos propres recherches, soyez assez aimables de m’en informer ou d’insérer un lien.

Reardon, août 2004



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