Mercredi 3 mai 2006, FNAC de Parly2 à 17 h, rencontre exceptionnelle avec
Benoît
Sokal dans le cadre de la sortie du jeu
Paradise, sur le thème : « De la bande-dessinée au jeu vidéo ». C’est l'occasion pour l'artiste de présenter les grandes étapes de son travail et de répondre aux questions des lecteurs et des joueurs.
Une salle forum avec des sièges confortables, un grand écran, des micros, une ambiance qui laisse présager un très agréable moment. J’attends une amie qui vient de m’appeler sur mon portable et qui n’est plus très loin.
L’artiste arrive accompagné d’un de ses associés de White Birds Productions, Michel BAMS. Mon amie arrive également, nous nous installons au premier rang, je me retourne et constate avec déception que la salle est tristement vide, nous sommes visiblement moins d’une dizaine d’intéressés présents, est-ce le jour ? L’heure ? L’endroit ?... Ce n’est pas grave nous sommes là et comptons bien en profiter.
Un intervenant intervieweur prend le micro, il guidera l’entretien et laissera la place aux questions du public, juste le temps de demander à Benoît SOKAL s’il m’autorise à enregistrer avec mon dictaphone, il acquiesce et je l’en remercie encore, les choses sérieuses commencent.
Tout au long de la rencontre, sur le grand écran, Michel BAMS à l’aide de son ordinateur portable nous diffusera des cinématiques, des passages du jeu, des illustrations et des captures d'écran.
Malgré le fait que Benoit SOKAL nous ait avoué n’avoir jamais mis un pied en Afrique, il garde la présence du Congo Belge comme le rêve de son enfance, un souvenir pittoresque. Mélanger cette Afrique de carte postale d’hier et celle d’aujourd’hui lui a semblé digne d’intérêt. Fasciné par la remonté des fleuves, le fait de laisser derrière soi la civilisation, ses problèmes, son passé, est un thème qu’il affectionne particulièrement, admirateur tour à tour de Joseph CONRAD (Au cœur des ténèbres), de Francis Ford Coppola (Apocalypse Now), Jules VERNE ayant fait la joie de ses lectures d’enfant, ces filiations dues au passage de l’un à l’autre ont aiguisé sa motivation d’inventer un nouveau pays africain qui joindrait géographiquement plusieurs aspects où l’on retrouverait à la fois le désert du Maghreb, la jungle équatoriale, l’Afrique centrale, le moyen orient qu’il a beaucoup fréquenté et dont il aime particulièrement l’art, la décoration, l’architecture, les objets, les souks...
Les infographistes et lui-même se sont inspirés, entre autre, du Maroc et des peintres orientalistes du XIXème siècle et un gros travail de recherche a été effectué sur le moyen orient, source d’inspiration quasi inépuisable, afin d’obtenir un maximum de précisions et d’authenticité. Dans sa recherche graphique Benoit SOKAL est envieux du siècle dernier où tout le monde savait un peu dessiner, les gens qui voyageaient dessinaient beaucoup, les illustrateurs qui ont suivi Napoléon en Egypte par exemple, pour lui ce sont des dessins d’aventures, ils sont une mine d’informations et d’inspirations qui collent et se rapprochent bien à ses jeux de voyages et d’aventures. Cela fait partie de son travail de recherche qui lui permet d’ajouter à ses propres créations, dessins, mécanismes, cartes, story-boards, des illustrations déjà dessinées par d’autres comme Delacroix par exemple, le tout lui servant à placer les choses et les ambiances en fonction du scénario et des besoins de l’histoire. Tout ce travail permet de nourrir ses infographistes et ses collaborateurs qui vont faire les images, pour déboucher sur le résultat correct. L’intérêt de Benoit SOKAL est cet aller et retour perpétuel entre le souci de raconter une histoire et le souci d’en faire un jeu dit d’aventure, donc très scénarisé. Cela ne lui donne pas l’impression d’avoir changé de métier entre la bande dessinée et le jeu vidéo puisqu’il continue à raconter des histoires avec des images grâce au nouvel outil formidable, l’image de synthèse dont il est un fan, qui permet de recréer totalement l’univers dans lequel on peut évoluer avec un réalisme et une espèce d’extra vraisemblance qui fait adhérer le joueur beaucoup plus qu’il ne pouvait le faire avec le lecteur de bandes dessinées, comme sauter à pieds joints dans le tableau comme il le voyait dans Mary POPPINS (Walt DISNEY), ou encore la traversée de l’écran de cinéma dans La rose pourpre du Caire (Woody HALLEN). C’est cette proposition que souhaite nous faire Benoit SOKAL, nous englober l’esprit par l’image plus que le lecteur de bandes dessinées, surtout dans ces jeux qui sont fait avant tout pour être joués sur un ordinateur, le contact est beaucoup plus intime avec l’écran à trente centimètres qu’à trois mètres comme sur une console de jeu. C’est aussi dans cette subtilité de perception qu’il veut nous entrainer en cherchant par tous les moyens à créer un climat propice à l’immersion. Il crée le jeu avec à l’esprit le juste équilibre des difficultés de celui-ci tout en essayant de ne pas rompre le charme du cheminement du joueur et déplore la difficulté de faire rire ou pleurer, ce qui reste son rêve secret et qu’à sa grande envie le cinéma maitrise parfaitement. Il s’oblige donc à biaiser pour trouver des manières de faire et des solutions qui s’en approchent. Son intention de créer des mondes irréels peuplés d’animaux qui le sont tout autant garde toujours un impératif de logique. Pour exemple la gazeline est un animal endémique d’une région de déserts de sables mouvants, il lui fallait donc de très grandes pattes pour ne pas s’enfoncer dans le sable, un long cou aux articulations multiples pour se nourrir aux branches hautes des arbres, les Molgraves, habitants vivant dans cette région, s’en servent de monture puisqu’ils ne peuvent évidemment pas mettre le pied à terre, terre qui est donc impure et les oblige à vivre dans les arbres. La cohérence est pour lui primordiale a contrario d’un grand n’importe quoi qu’il déteste qui mélangerait gratuitement et sans logique merveilleux, antiquité, science fiction, barbares, planètes oubliées, …
Il y préfère un petit décalage par rapport à la réalité qui fait beaucoup plus travailler l’imagination du lecteur ou du joueur. Sa préoccupation journalière restant l’invention de la grammaire du jeu vidéo afin qu’il se suffise à lui-même, ce qui lui parait aujourd’hui embryonnaire et faisant souvent appel au cinéma, tout comme la bande dessinée y fait quelquefois appel en le singeant un peu malgré le fait qu’elle ait ses propres codes. Selon lui l’invention de cette grammaire c’est aussi son souci d’explorer de nouveaux terrains de game-play, de le faire évoluer, la 3D temps réel participe et aborde l’aventure sous un angle différent et s’il choisit de prendre le risque de faire évoluer le point & clic d’aventure, il souhaite également que les joueurs le suivent et tant pis pour les adeptes purs et durs, se sera sans eux, ou il faudra qu’ils s’y mettent car il ne fera pas de concessions en rapport avec leur soi-disant représentativité. Les phases de contrôle du léopard dans Paradise sont un aperçu de cette évolution et est une des évolutions dont il parle, même si la 3D temps réel n’est pas encore tout à fait satisfaisante et doit encore évoluer. Tout cela prend du temps. Il se rappelle le temps où il était jeune dessinateur, il trouvait cela frustrant de ne pas pouvoir trainer des semaines ou des mois sur un dessin pour qu’il soit parfait. Il semble très conscient et irrité des réalités et de leurs impératifs différents qu’ont la création, la production, l’édition et il est contraint d’accepter que, tout comme la réalisation d’un jeu ou d’une bande dessinée, c’est bien entendu que tout est affaire de compromis, qu’il est illusoire de croire qu’il a des crédits illimités qui lui permettent de sortir un jeu dans 2, 3, 4 ou 5 ans, il pourrait faire un jeu parfait mais ce serait un jeu en retard, tout comme dans la bande dessinée et le cinéma, il faut faire avec, ça fait partie de la règle et de la vie, alors Paradise, comme Syberia, comme Amerzone, ne sont pas parfaits et même parfois il y a des jeux de lumières ou d’ombres que nous trouvons si merveilleux et qui sont là aussi pour masquer ou cacher certains défauts. Il regrette aussi le temps où un dessin ne faisait pas le tour du monde en quelques secondes et où il y avait un certain attachement au droit de l’auteur, c’est aussi pourquoi il préfère livrer un produit complet qu’une démo qui est pour lui une partie de l’œuvre, quand bien même elle servirait à tester nos configurations matérielles.
La création et la supervision complète d’un jeu vidéo lui prenant les 9/10émes de son temps, c’est pourquoi Benoit SOKAL a laissé à Brice BINGONO le soin de la réalisation de la bande dessinée Paradise, sur la base du même scénario découpé selon les quatre chapitres du jeu, Benoit SOKAL n’aimant pas les longues séries et environ huit mois par ouvrage étant nécessaire à Brice BINGONO. Le dessinateur et l’infographiste ont chacun adapté le scénario en fonction de leur inspiration et de leur support respectifs, sans regarder le travail de l’autre, ce qui rend leur travail original et différent. Il y a des passages de la bande dessinée, dont l’avantage est d’avoir également un ton beaucoup plus libre, qui ne sont pas le jeu car certaines choses doivent être abandonnées faute de place ou de temps.
Benoit SOKAL admet qu’il finissait par s’ennuyer un peu dans la bande dessinée et que son métier d’aujourd’hui et de demain est et sera bel et bien dans l’animation en images de synthèse. Son grand projet qui porte le nom d’Aquarica est justement un film d’animation en images de synthèse, c’est pour lui un moyen d’expression qui a transformé la manière dont on peut adhérer aux choses, son objectif étant, avec cet outil générant ces images particulièrement efficaces, de raconter des choses relativement subtiles et il est hors de question d’en abuser pour faire n’importe quoi, n’importe comment et pour n’importe quel public, ce dernier n’étant pas encore défini. Les films comme, entre autre, Final Fantasy (Hironobu Sakaguchi) et Immortel (Enki BILAL) sont pour lui de très belles références, tout comme Jurrasic Park (Steven SPIELBERG) par lequel il a été bluffé par le réalisme. Tout cela étant bien sûr plus cher que jeu vidéo et encore bien plus que la bande dessinée, comme pour le cinéma beaucoup plus de partenaires sont à convaincre pour financer, réaliser et finaliser ce type de projet qu’il partage avec l’auteur de bandes dessinées François Schuiten.
Aquarica, le film d’animation se trouvera entre Final Fantasy (Hironobu Sakaguchi), car il sera fait appel à l’image de synthèse pour l’ensemble de l’histoire, et Immortel (Enki BILAL), puisque seront intégrés des acteurs réels, à la fois pour le personnage principal, mais surtout pour faire une différence et apporter un supplément d’âme par rapport aux autres, ce qui correspond à certains aspects du scénario. Ce mélange découle donc d’une utilité scénaristique. Pour ce qui est de l’état d’avancement il est encore loin de la réalisation car seulement aux premiers prémices du pilote.
Par ailleurs le film sera aussi décliné en jeu vidéo et la pré-production devrait débuter en juin / juillet, au plus tard à la rentrée. Pour Benoit SOKAL le jeu sortirait vraisemblablement avant le film et Michel BAMS d’expliquer à l’issue de la rencontre que le temps de réalisation d’un jeu est d’au moins de deux ans.
Par contre il n’est pas pour le moment prévu de déclinaison en bande dessinée car ni François Schuiten ni Benoit SOKAL n’ont de temps, il faudrait donc qu’ils trouvent un dessinateur qui leur plaise à tous les deux car Brice BINGONO est encore bien occupé sur celle de Paradise.
Que le temps est vite passé, déjà 18 h 30, il est temps d’en terminer et Benoit SOKAL avec son infinie gentillesse et sa disponibilité, de signer et de réaliser quelques dessins sur des affiches, livrets, bandes dessinées de Paradise, pour le peu de public présent mais néanmoins admirateur de son travail…
Entre temps Sandrine LOEGEL, contact presse de Micro Application, et Michel BAMS nous ont rejoints et nous continuons de deviser encore une quinzaine de minutes sur les préoccupations d’une population de joueurs. Tous deux nous confirment avec beaucoup d’arguments que de nombreux tests avec deux sociétés totalement différentes ont biens été effectués et s’étaient révélés complètements positifs, que contrairement à un produit pour console où le standard est unique, la difficulté de sortir un produit PC réside dans la multitude de configurations pratiquement infinies.
Ne pouvant pas faire machine arrière, la priorité du moment est de travailler le plus rapidement et le mieux possible sur un patch, en s’aidant des commentaires laissés sur le forum officiel pour élaborer et répondre le plus parfaitement aux besoins.
Là il est 18 h 45 et un collaborateur de la FNAC nous fait savoir qu’il va fermer les portes de la salle, c’est donc l’heure des salutations et des remerciements, à la souriante Sandrine LOEGEL pour sa gentillesse, à Michel BAMS pour son professionnalisme sans concessions et enfin à Monsieur Benoit SOKAL pour toutes ses explications sans langue de bois, son temps qui est compté et sa disponibilité pour nous recevoir avec autant d’amabilité.
Lee_Sterick, mai 2006